Tribune de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, au quotidien "Le Monde"

(Paris, 16/02/2021)

"Jean-Yves Le Drian : Donner un nouvel élan à notre politique de développement solidaire " - Le ministre des affaires étrangères annonce, dans une tribune au "Monde", que la France va concentrer son aide au développement sur 19 pays prioritaires, en particulier au Sahel, dans les domaines du climat, de la biodiversité, de la santé, de l’éducation et de l’égalité.
Quelques semaines ont suffi à la pandémie de Covid-19 pour faire éclater les contradictions d’un monde tissé d’interdépendances, mais hanté par la tentation du chacun pour soi. Soudainement, les désordres de ce "monde d’avant" nous ont tous rattrapés. Partout, jusqu’en France.
Un an plus tard, force est pourtant de constater que le "monde d’après" qui devait lui succéder est loin d’avoir tenu ses promesses. Non seulement la compétition des puissances n’a rien perdu de sa brutalité, mais elle a gagné des terrains nouveaux. Y compris ceux-là mêmes où la coopération internationale est plus nécessaire que jamais.
Aujourd’hui, nous vivons dans un entre-deux. Il est temps de choisir le monde que nous voulons vraiment, et de commencer à le construire avec nos partenaires de bonne volonté. C’est pourquoi nous avons fait le choix d’une relance diplomatique solidaire, mais sans naïveté. Car la sortie de la crise pandémique se jouera là où elle a commencé, sur la scène internationale.
Le prétendu "nationalisme vaccinal", qui fausse aujourd’hui le débat public, manque donc deux fois sa cible. D’abord parce que notre souveraineté n’est jamais aussi ferme que lorsqu’elle est française et européenne. Si nous n’avions pas fait bloc entre Européens, qui peut penser que nous aurions été mieux armés pour défendre nos intérêts dans un marché mondial en tension ?
Ensuite pour une raison d’ordre sanitaire : face au Covid-19, l’immunité sera globale ou ne sera pas. Tant que la pandémie n’aura pas été maîtrisée partout, les efforts accomplis ici resteront à la merci de nouveaux variants. Pour réussir, la vaccination doit être conduite à l’échelle du monde entier.

Biens publics mondiaux
La leçon de ces mois d’adversité est claire : ce qui protège les Français, c’est la solidarité. La solidarité européenne et la solidarité internationale, que nous devons refonder à la lumière des défis d’aujourd’hui, comme nous avons commencé à le faire l’été dernier, avec la Commission européenne, en créant un pont humanitaire aérien vers le Burkina Faso et la RDC [République démocratique du Congo], où la menace d’Ebola plane toujours, de même qu’en Guinée.
En même temps qu’un impératif de justice et d’humanité, c’est une question d’efficacité.
Dès mai 2020, la France, l’Union européenne et l’OMS ont lancé l’initiative ACT-A, qui a permis de jeter les bases d’une riposte globale et coordonnée.
Dans le cadre de sa facilité financière Covax, plus de deux milliards de doses ont déjà été sécurisées, à destination des pays à revenu faible et intermédiaire, qui méritent mieux que la douteuse "géopolitique du vaccin" dans laquelle certains voudraient les enfermer. Ne fût-ce surtout, à bien y regarder, que par des effets d’annonce.
L’intérêt bien compris de la communauté internationale - et il est urgent de travailler à rendre tout son sens à cette expression - est de garantir à tous ceux qui en ont besoin des produits sûrs, distribués de manière fiable. Etats, organisations multilatérales et fondations privées doivent donc redoubler d’efforts pour faire du vaccin contre le Covid-19 un bien public mondial, en prenant des engagements concrets, notamment sur les questions cruciales du partage des résultats de la recherche et des transferts de technologie. La charte que les membres d’ACT-A viennent d’adopter à notre initiative nous permettra d’avancer en ce sens.
Il y a urgence, comme pour tous nos biens publics mondiaux, à commencer par la santé, le climat et la biodiversité - ces biens dont nous serons au bout du compte tous privés si nous ne veillons pas à les défendre partout et pour tous. C’est vrai du vaccin, qui ne restera efficace que s’il est accessible de façon universelle. C’est vrai pour notre planète, aujourd’hui en proie à des bouleversements majeurs.

Changement de braquet
La réponse de la France à ce nouvel état d’urgence global passe par le projet de loi que je présenterai mercredi à l’Assemblée nationale pour donner un nouvel élan à notre politique de développement solidaire.
C’est d’abord la confirmation d’un véritable changement de braquet. Nous tiendrons l’engagement du Président de la République de porter notre aide publique au développement à 0,55% de notre richesse nationale d’ici à 2022. Pour nous, il aurait été inconcevable de faire moins, comme certains de nos voisins, quand la crise vient de confirmer la nécessité de faire plus.
C’est aussi un profond changement de méthode. Nous allons concentrer nos dons sur 19 pays prioritaires, ce qui nous permettra d’y faire une vraie différence, en particulier au Sahel.
Afin de prévenir les crises globales qui pourraient nous frapper demain, nous allons concentrer nos efforts sur les batailles décisives du climat, de la biodiversité et de la santé et sur les combats d’avenir de l’éducation et de l’égalité. Parce que ces sujets sont imbriqués, nous les aborderons désormais comme un tout, notamment dans le projet emblématique de la Grande Muraille verte.
C’est enfin l’affirmation d’un modèle, conforme à nos intérêts et nos valeurs. Sous le couvert du développement, certaines puissances cherchent à imposer de nouvelles formes de dépendance à nos partenaires les plus vulnérables. Ce n’est pas notre conception de l’influence, et nous entendons proposer une tout autre voie aux Etats et aux sociétés civiles du Sud : faire une force de nos dépendances réciproques, pour commencer à rebâtir notre monde commun, dans le concret de nos projets d’entraide au développement durable. Ensemble, car les solutions de demain peuvent s’inventer au Sud autant qu’au Nord.
2022 marquera les 50 ans de la Conférence de Stockholm sur l’environnement et les 30 ans du Sommet de la Terre de Rio. Ces anniversaires doivent être l’occasion d’un sursaut pour la planète. Pour la beauté du monde et ses grands équilibres, et pour les générations à venir. Forte de cette diplomatie des biens communs, la France sera au rendez-vous.

Dernière modification : 18/02/2021

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